Possibilisme

Caractéristiques du possibilisme

Le possibilisme présente plusieurs caractéristiques marquantes. Tout d'abord, un bref historique :

Histoire du Possibilisme

Le "possibilisme" est une approche utilisée par l'influent géographe français Paul Vidal de la Blache (1845-1918). Le terme a été inventé par l'historien Lucien Febvre.

Aux États-Unis, des géographes comme Carl Sauer (1889-1975), à la recherche d'une alternative au déterminisme environnemental d'Ellen Churchill Semple (1863-1932) et de ses disciples, ont adopté le possibilisme.

Les travaux de Jared Diamond (par exemple, Guns, Germs, and^Steel1 en 1998) ont popularisé une approche plus déterministe de la géographie historique que ce que l'on avait vu depuis des générations aux États-Unis. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un déterminisme environnemental à proprement parler, il donne aux contraintes environnementales beaucoup plus d'influence que ce que la plupart des géographes humains ont été prêts à leur accorder.

De l'autre côté du spectre, le constructivisme social, associé au tournant postmoderne de la géographie humaine dans les années 1980, accorde peu d'influence à l'environnement naturel.

Six caractéristiques

1. Les systèmes naturels imposent certaines contraintes à l'activité humaine. Par exemple, les humains respirent de l'air et n'ont donc pas évolué pour survivre dans des environnements sans air ou très pollués.

2. Les humains s'adaptent souvent à ces contraintes. Nous cherchons à vivre là où l'air est respirable. Nous polluons moins.

3. Certaines contraintes peuvent être surmontées par la technologie humaine. Les humains peuvent surmonter le manque d'air en créant une nouvelle technologie qui nous permet de respirer sous l'eau ou dans l'espace. Nous pouvons nous adapter en polluant moins, mais nous pouvons aussi utiliser des filtres à air, des masques respiratoires et d'autres technologies tout en continuant à polluer.

4. Les contraintes environnementales que les gens surmontent peuvent avoir des effets indésirables ou imprévus. Nous pouvons survivre en utilisant la technologie dans des zones où l'air est pollué parce que nous le filtrons et le nettoyons dans nos espaces de vie, mais si l'air reste pollué, il peut avoir des effets négatifs sur les écosystèmes naturels et peut finir par nous nuire de toute façon.

5. L'échelle de temps est essentielle. Les humains peuvent créer une technologie pour conquérir ou contrôler une force naturelle à court terme, mais elle risque d'échouer à long terme.

6. Certaines contraintes environnementales ne peuvent pas être surmontées par la technologie. Ce point est débattu : les personnes qui croient aux "technofixes" tels que la géo-ingénierie suggèrent que nous pouvons toujours trouver de nouvelles sources d'énergie, de nouvelles sources de nourriture et même, éventuellement, de nouvelles planètes sur lesquelles vivre. Nous pouvons empêcher les astéroïdes et les comètes de frapper la terre ; nous pouvons arrêter et inverser le changement climatique mondial ; et ainsi de suite.

Différence entre le déterminisme et le possibilisme

L'héritage du déterminisme est mêlé à l'eugénisme (terme utilisé avant la Seconde Guerre mondiale pour désigner la génétique), à la science de la race et au darwinisme social. Autrement dit, il a été utilisé à des fins très désagréables.

L'héritage taché du déterminisme environnemental

À la fin des années 1800, les déterministes environnementaux ont fait remarquer que les pays chauds et tropicaux ne connaissaient pas les mêmes niveaux de progrès industriel que les régions du nord du monde. Ils en ont conclu que cela était dû au fait que les habitants des zones tropicales et subtropicales, qui n'étaient généralement pas blancs, n'avaient pas l'intelligence des Européens et des habitants de l'Asie du Nord-Est.

Cette idée raciste a fini par être largement acceptée pour justifier l'esclavage et le colonialisme, bien que pour y croire, il faille diminuer, nier et ignorer toutes les réalisations de ces peuples "inférieurs" avant qu'ils ne soient subjugués par les peuples du nord (c'est-à-dire en Égypte, en Inde, à Angkor Wat, chez les Mayas, au Grand Zimbabwe, et ainsi de suite).

Fig. 1 - Angkor Wat au Cambodge est un exemple étonnant de ce que les sociétés des climats tropicaux ont réalisé.

Les déterministes environnementaux sont allés un peu plus loin. Ils ont affirmé que le climat lui-même était un facteur : il rendait en quelque sorte les gens moins intelligents, un trait qui était alors héréditaire. Ainsi, même les Européens qui s'installaient dans les pays tropicaux finissaient par ressembler aux autres habitants de ces pays, parce que le climat les affectait et qu'ils transmettaient ce trait à leurs enfants.

Le déterminisme environnemental a contribué à l'idée commode selon laquelle les "races" du Nord étaient destinées à contrôler le monde et à décider comment les parties et les peuples "inférieurs" du monde devaient penser et agir. Mais le climat, pensaient-ils, pouvait être surmonté : par la "science de la race" et l'eugénisme.

L'eugénisme consiste à sélectionner des personnes pour leur conférer des traits "supérieurs" et à empêcher les autres de se reproduire, une pratique génocidaire dans tous les États des États-Unis ainsi qu'en Europe et ailleurs^.2 Puisqu'ils pensaient que le climat entraînait une baisse de l'intelligence et que la baisse de l'intelligence entraînait la pauvreté, la solution était d'empêcher les pauvres et les "races inférieures" d'avoir des enfants, ou d'autres solutions plus radicales encore. Pour faire court, cet état d'esprit a contribué à l'Holocauste.

Le monde d'après 1945, désireux de se démarquer de l'application de la science raciale et de l'eugénisme par les nazis, a progressivement abandonné le déterminisme en bloc. On disait désormais que les gens étaient le produit de contraintes socio-économiques, et non de contraintes environnementales ou génétiques.

Le possibilisme a prospéré dans l'environnement de l'après-guerre, bien qu'il n'ait pas plongé dans les extrêmes du constructivisme social et du techno-futurisme, conscient du fait que même si l'environnement ne nous détermine pas au niveau génétique, il impose des contraintes à nos activités.

Le possibilisme environnemental

Carl Sauer et les géographes de l'école de Berkeley, ainsi que beaucoup de ceux qui ont suivi leurs traces, ont documenté les systèmes adaptatifs complexes pratiqués par les populations rurales traditionnelles d'Amérique latine et d'ailleurs. Les Sauériens étaient toujours à l'affût de l'ingéniosité locale, parfaitement conscients que la plupart des cultures domestiquées n'avaient pas été créées dans des laboratoires ou par des habitants des pays du Nord, mais plutôt par des agriculteurs et des bergers il y a des milliers d'années. Les déterministes environnementaux auraient qualifié ces gens de "primitifs", à la merci des forces planétaires. Les possibilistes savaient qu'il en était autrement.

Fig. 2 - Les rizières en terrasses d'Ifugao, aux Philippines, constituent un système adaptatif complexe.

Le géographe Gilbert F. White (1911-2006) a proposé une autre approche, impliquant la gestion des risques naturels. Il s'intéressait moins aux approches indigènes et traditionnelles de l'adaptation et se concentrait davantage sur la façon dont la technologie moderne pouvait travailler avec la nature, en particulier dans les plaines inondables, plutôt que contre elle.

Respect de la nature et des connaissances locales

Le possibilisme environnemental suscite un respect sain pour les forces de la nature et recherche la durabilité et l'équilibre dans la transformation par l'homme des paysages naturels en paysages culturels.

Les forces de la Terre, telles que le changement climatique, ne sont ni quelque chose que nous sommes impuissants à arrêter, ni quelque chose que nous pourrons jamais contrôler complètement. Nous n'arrêterons jamais les tremblements de terre, mais nous pouvons construire des paysages mieux adaptés (White) et nous pouvons apprendre comment les gens se sont adaptés aux tremblements de terre pendant des milliers d'années (Sauer). Il en va de même pour les sécheresses, les inondations, les volcans, l'érosion des sols, la désertification et la salinisation ; la liste est longue.

Exemples de possibilisme

Il y a des exemples de l'état d'esprit possibiliste à l'œuvre tout autour de nous ; il suffit de savoir quoi chercher.

Les rivières

Lorsque l'eau coule, elle forme des méandres. L'eau des cours d'eau et les particules qu'elle contient se déplacent de telle façon qu'elles créent un environnement dynamique et instable si tu te trouves sur le chemin que la rivière "veut" emprunter. Non seulement la plupart des rivières sont en crue chaque année, mais elles rongent aussi leurs berges et changent de cours.

Les gens veulent s'associer aux rivières pour leurs ressources et leur utilisation en tant qu'artères de transport. Les gens veulent aussi vivre et cultiver près des rivières en raison des sols fertiles, même au milieu des déserts. Pense à la vallée du Nil. Lesanciens fermiers égyptiens ont réussi à limiter les inondations annuelles du Nil, mais pas à les arrêter, et à les utiliser pour l'agriculture .

La lutte contre les inondations est l'ultime bataille de l'homme contre la nature. Les humains ont entrepris d'éloigner les inondations et d'enfermer les rivières dans des canaux contrôlables. Mais du fleuve Jaune en Chine au Tigre et à l'Euphrate en Mésopotamie, le destin d'empires et de civilisations entières peut basculer sur les caprices d'un fleuve en crue.

Dans la vallée alluviale du Mississippi inférieur, un système complexe de levées, d'écluses, de canaux de dérivation et d'autres structures constitue le plus grand projet d'ingénierie de l'histoire de l'humanité. Le système a résisté à de multiples inondations "centennales" au cours du siècle dernier. Les digues principales le long du fleuve Mississippi n'ont pas connu de défaillance depuis 1927. Mais à quel prix ?

Fig. 3 - La digue du Mississippi protège la ville (à gauche) de la rivière en crue (à droite). Les digues et les murs de protection contre les inondations du Mississippi ont une longueur de 3 787 miles

Le système est construit de manière à faire descendre les eaux de crue et à les faire sortir des zones agricoles le plus rapidement possible, de sorte que les sols ne sont pour la plupart plus renouvelés par les inondations annuelles. À la Nouvelle-Orléans, l'absence d'inondations a permis à la ville de rester en sécurité... et de s'enfoncer ! La terre s'est asséchée et le sol s'est contracté, ce qui signifie littéralement que le terrain a baissé en altitude. Les zones humides de la vallée du Mississippi, qui devraient servir à filtrer les contaminants en amont, ont disparu. La côte de la Louisiane est donc l'une des plus grandes catastrophes environnementales des États-Unis, car tout finit ici.

Point 4 sous les Caractéristiques, ci-dessus : la loi des conséquences involontaires. Plus nous manipulons et contrôlons le Mississippi, plus nous créons des problèmes en même temps que des solutions. Et un jour (demande à n'importe quel ingénieur), une inondation si importante se produira que tout le système sera submergé. Nous pouvons considérer cela comme un possibilisme insoutenable.

Littoral et ouragans

Prenons maintenant le cas de la Floride. Soleil et plaisir, n'est-ce pas ? Pour cela, il faut une plage. Il s'avère que le sable est migrateur et que si tu construis beaucoup de structures sur une plage, il s'accumulera à un endroit et disparaîtra à un autre. Alors, tu fais venir plus de sable par camion. Tu ne t'adaptes pas à la nature, mais tu résous ton problème à court terme. Malheureusement pour les snowbirds et les adeptes du soleil, un problème plus important se profile à l'horizon.

Année après année, nous voyons les destructions causées par les ouragans dans les communautés côtières très développées de Floride. Lorsqu'un ouragan comme Ian en 2022 fait des ravages, nous voyons tellement de défauts qu'il semble que l'environnement est trop fort pour nous et qu'il détermine notre destin. Avec le réchauffement climatique qui promet d'aggraver les choses, mieux vaut baisser les bras et abandonner toute la côte de Floride à la nature, n'est-ce pas ? L'exemple suivant suggère qu'une approche possibiliste peut aussi être durable.

Les leçons de Babcock sont susceptibles de se répandre ailleurs, et peut-être deviendront-elles un jour la norme : nous pouvons nous adapter à la nature, ni en y renonçant, ni en la conquérant.